MARTIN VAN BOONE : TAPI DANS LE MONDE ANIMAL

Martin Van Boone est un photographe animalier basé à Corte qui célèbre la vie animale et sauvage à travers son regard photographique.

 
 
 
 

Depuis quand pratiques-tu la photographie et pourquoi la photographie animalière ?

Je pratique la photographie animalière depuis environ sept ans. C’est une passion résultante d’un concours de circonstances hasardeux et bienvenu à un moment où je me posais beaucoup de questions sur mon avenir. Alors pourquoi ? Je ne sais pas, peut-être que le regard animal me fascine plus que tout autre chose, c’est un appel à vivre.

Quelle est ton approche de cette photographie si singulière ?

Si je devais définir mon approche de la photographie, je dirais qu’elle est purement instinctive. J’aime errer discrètement dans les espaces sauvages, me poster où me cacher parfois, attendre, écouter, observer. Il y a tellement à apprendre, c’est peut-être même cela qui m’attire plus que tout autre chose. Observer le monde sauvage, parfois le photographier pour tenter de partager un petit instant de grâce. Je suis le premier à m’étonner ou à m’émouvoir de ce que j’ai la chance d’observer. Alors, pourquoi ne pas le partager ? La connaissance ouvre la porte au respect et à l’attention, je pense que c’est fondamental pour encourager la protection d’espèces et de milieux.

Te considères-tu comme un naturaliste ?

On me considère souvent comme un naturaliste, mais je ne sais pas vraiment quelles cases il faut cocher pour accéder à ce statut. Je ne cherche pas ce genre de reconnaissance même si l’appellation est très honorifique. Je partage simplement mes observations avec des spécialistes, parfois les informations ou photographies peuvent être très utiles, alors j’essaie d’apporter des réponses à mon échelle.

Le respect du vivant, un fil conducteur dans ta manière d’arpenter et de photographier le territoire ?

Respecter le vivant c’est avoir conscience de la vie. La conscience doit nous permettre de nous mettre à la place de l’animal. Le photographe face à l’animal, ce n’est rien d’autre que deux animaux face à face dans le milieu naturel. C’est exactement ce que je suis dehors, un animal qui espère en observer un autre dans son milieu. J’ai un appareil photo, car j’aime admirer une fois rentré chez moi au chaud, l’animal croisé. Mais dehors je suis conscient que je ne suis pas chez moi. Je suis chez l’animal et l’animal tolère rarement l’Homme. Alors je me fais discret, petit, j’essaie de cacher cette forme, cette démarche humaine qui me trahit. Parfois l’animal me voit, parfois il m’accepte. Il faut savoir montrer son respect quand on en a. Malheureusement, la photographie est aussi un immense business en expansion, l’image peut desservir et même asservir l’animal. La frontière entre une image réalisée en 2 heures grâce à des méthodes invasives ou destructrices, et une autre qui a pris 10 années de suivi d’un grand passionné respectueux, n’est pas toujours perceptible. Dans l’immense quantité d’images que l’on peut parcourir en ligne, très peu sont à mon avis « saines » vis-à-vis des bêtes photographiées, et cela est très préoccupant. Réfléchissons bien avant d’aimer, commenter ou partager sans fondement une image, car cela peut avoir de lourdes répercussions et encourager des pratiques dangereuses.

Aujourd’hui, avec la forte fréquentation des milieux naturels, et plus particulièrement de la montagne, certaines espèces animales sont fragilisées. Quel message voudrais-tu transmettre ?

Prenons le mouflon corse pour exemple puisque c’est peut-être l’animal que j’observe le plus. Sur certains secteurs il est constamment dérangé par l’Homme et pas seulement l’été. La montagne est synonyme de liberté dans notre société. Nous considérons qu’elle est un espace ouvert dédié à nos activités récréatives et nous y sommes rarement discrets. J’ai pu observer un jour un troupeau de mouflons en haute montagne qui au petit matin était dérangé par des randonneurs bruyants. Le groupe d’animaux a dû parcourir plus d’un kilomètre pour trouver le calme en basse vallée. Plus tard, ce sont des chiens de chasse qui les ont poursuivis jusqu’à ce qu’ils ne regagnent la cime en des zones inaccessibles pour les canidés, mais aussi dangereuses pour les animaux sauvages stressés. Pour couronner le tout, un hélicoptère rasant la cime a une nouvelle fois provoqué la fuite du groupe au final éparpillé après plusieurs kilomètres parcourus. Il n’était que midi quand je les ai perdus de vue. Imaginez-vous fuir sans cesse quand la nourriture et l’eau manquent sous la canicule en des terrains escarpés. Nous prenons trop de place et nous n’avons que rarement conscience des conséquences de notre appétit pour la liberté en ces milieux habités. Notre « liberté » coûte cher au vivant. Comprendre cela serait déjà un pas en avant.

Peux-tu nous raconter l’histoire d’une rencontre marquante avec un animal sauvage ?

J’observais un groupe de mouflons dans le Ghjunsani, caché en crête, adossé confortablement à un bloc. Et puis, le temps d’un instant, j’entends un souffle venant de l’arrière. Je sors la tête de la cime quand quelque chose d’énorme me rase le crâne, je me retourne sans comprendre ce qui m’arrivait et voit un aigle en piqué, immense ! J’ai même senti son souffle. Le bruit de l’air qui siffle sur ses grandes ailes m’a terriblement surpris, on se sent petit. Malgré la furtivité de la rencontre, celle-ci m’a marqué pour longtemps. L’aigle semblait suivre le fil de la montagne à toute vitesse, c’est une habitude chez lui. Si un animal en équilibre croise son vol, il pourrait basculer et servir de repas.

As-tu un lieu en Corse que tu affectionnes particulièrement ? Et une espèce animale ?

Il y a beaucoup de lieux que j’apprécie, mais je ne pourrais les citer précisément par peur de m’y retrouver accompagné ! La beauté est partout chez nous. Très tôt avec la lumière et le calme du matin, plus qu’un lieu, ce sont peut-être les ambiances que j’affectionne le plus. Même si j’aime particulièrement la montagne, il m’arrive souvent d’admirer un vol de martinets ou d’étourneaux au petit matin en pleine ville. Aussi au large, en mer, cerné par les puffins dans les lumières dorées et les reflets émeraude. Le paradis n’a de frontière que notre imagination sur et autour de cette île. Pour citer une espèce, évidemment, l’Altore, lui, est un dragon venu des temps anciens. Il est si grand, c’est insensé, je ne lui en voudrais pas de me manger si un jour je dégringole.

Quel animal est selon toi le plus difficile à photographier en Corse ?

L’animal le plus difficile à photographier en Corse est certainement le phoque moine car il aurait disparu de nos côtes. Mais des témoignages et des indices indiquent que ce n’est pas vain. Il est de retour sur des îles comme Capraia où une partie de la côte est interdite à la navigation. Il a besoin d’espaces calmes sur le littoral, de grottes non visitées par des bateaux de tourisme (entre autres choses), ainsi que d’une protection accrue contre le braconnage et la destruction. Il en resterait 500 à ce jour. Une autre espèce très compliquée à observer est la Niverolle alpine. Parfois croisée sur les plus hautes cimes de l’île, elle semble disparaître, elle qui dépend grandement de la présence de la neige. Sa disparition de Corse à court terme semble inévitable. Pour en citer un troisième, le Hibou grand-duc, apparemment entendu ici et là, un rêve simplement.

Par quels photographes es-tu influencé ?

S’il fallait n’en citer qu’un seul je dirais Vincent Munier, évidemment. Il sait capter l’âme du vivant, dans les regards, les mouvements, les lumières. Mais bien plus que les photographes, c’est l’Art sous toutes ses formes qui modèle ma perception. Le cinéma, la musique, la poésie, la peinture. D’un poème peut naître une image, d’une image peut naître une chanson. De l’observation, de l’écoute, naissent tous les arts.

Tu as récemment travaillé sur le recensement du chat sauvage de Corse ou ghjattu volpe. Tu peux nous en dire plus ?

Lui aussi pourrait être l’animal le plus difficile à photographier. Les félins sont d’une discrétion légendaire. J’ai eu l’immense chance d’en croiser un alors que je cherchais le Tichodrome échelette. Pour détecter à l’oreille des oiseaux grimpeurs pourvus de grandes griffes comme le tichodrome je ne fais aucun bruit. Au bout d’un moment, alors que l’oiseau ne se montrait pas, je pensais entendre un renard avancer sur un parterre de feuilles mortes à proximité de mon poste d’observation. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque j’ai pu passer la tête et croiser son regard. Aussi surpris que moi, l’échange visuel fut assez long, mais il s’est glissé dans une faille au premier mouvement lorsque j’ai voulu saisir mon appareil. Un souvenir impérissable de ses grands yeux verdoyants demeurera. Pour ce qui est de mon travail, il faut de la patience pour étudier un tel animal et beaucoup de certitudes pour avancer des résultats. C’est un travail d’équipe dont je ne suis qu’un petit maillon et ce n’est pas mon rôle de faire des annonces. Je peux simplement dire qu’une analyse poussée du génome est en cours et doit permettre de retracer l’histoire évolutive de l’animal. L’objectif est de définir son statut, c’est-à-dire lui donner un nom pour qu’il soit enfin reconnu et protégé. Le processus est long et nécessite de nombreuses compétences, depuis le terrain jusqu’à la publication scientifique en passant par le laboratoire. Patience, car l’erreur n’est pas permise !

Dans quel coin du monde souhaiterais-tu t'aventurer si tu le pouvais ? Et pour photographier quel animal ?

J’aime le froid, les grands espaces sauvages, les oiseaux. Alors il y a du choix. Mais s’il fallait choisir aujourd’hui, j’irais probablement observer les grandes migrations d’oiseaux marins en Norvège. Des milliers et des milliers d’oiseaux dans un grand concert du vivant sur les falaises battues par la mer du Nord. Mais si je pouvais vraiment m’aventurer à mon goût, j’aurais de grandes ailes et je pourrais suivre ces oiseaux, des côtes du Cap Corse au cercle polaire arctique. Je serais un Fou de Bassan !

Sur quels projets travailles-tu actuellement ?

Je pense régulièrement à réaliser un livre. Beaucoup de matière s’est accumulée et j’aimerais en faire quelque chose de concret, une histoire d’images, de paysages, de bêtes sauvages. Alors j’y travaille tout doucement. Et puis je filme aussi régulièrement un grand volatile venu des temps anciens. Si je parviens à le croiser suffisamment il y aura peut-être quelque chose à dévoiler prochainement !

Pour conclure, qu’aimerais-tu dire à nos lecteurs ?

Ayez le pas léger, la voix discrète, le geste lent, le chien tenu, l’oreille tendue. Ouvrez les yeux, vivez le monde, rien n’est perdu, tout est ici !

 
 

Le Martin Van Boone des montagnes sur son rocher. Espèce endémique de l’île de Corse.

 
 
INTERVIEWSébastien Leroy